Qu’on les appelle « commerces non essentiels » ou, plus diplomatiquement, « commerces qui ne sont pas de première nécessité », intitulé préféré par le porte-parole du gouvernement, la différence n’est que sémantique. En pratique, des établissements se retrouvent brutalement fermés, sans activité, du fait du confinement. Cette situation interroge sur les modalités d’ajustement des baux commerciaux en présence d’un état d’urgence sanitaire.
Quelle(s) solution(s) juridique(s) pour des établissements contraints brutalement de fermer pendant plusieurs mois ? Ceux qui ne disposaient pas d’une trésorerie suffisante pour régler les loyers et charges locatives des deuxième et troisième trimestres 2020 se sont retrouvés dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie de leurs obligations contractuelles.
Le sujet est difficile, car il consiste à demander au juge d’arbitrer pour déterminer qui du bailleur ou du locataire supportera les conséquences de la décision collective de fermer certains établissements.
Les réponses disponibles varient en fonction du type de régime – de droit commun (1) ou d’exception (2) – qui encadre les relations des cocontractants.
1. LE RÉGIME DE DROIT COMMUN
Au moment du premier confinement, le gouvernement avait adopté l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 (voir notre article). Son article 4 interdisait au bailleur, à titre exceptionnel, de recourir à l’exécution forcée des paiements dus par le preneur entre le 12 mars et le 23 juin 2020.
Pour autant, les loyers et charges locatives restaient exigibles pendant toute cette période en vertu du droit commun des contrats. Les obligations contractuelles du preneur n’étaient pas suspendues et il lui revenait de les exécuter par paiement spontané ou règlement compensatoire dès lors qu’il le pouvait.
Ceux qui n’étaient pas en mesure de le faire ont cherché à négocier avec leur bailleur une solution amiable consistant, dans la plupart des cas, à reporter et à rééchelonner leurs dettes. En l’absence d’un accord extra-judiciaire, il restait à chacune des parties cocontractantes la faculté de porter leurs revendications en justice.
Des premiers jugements et arrêts portant sur l’inexécution de baux commerciaux pour des motifs liés au premier confinement, il ressort que le preneur et le bailleur sont fondés à demander l’application de l’article 1104 du code civil en vue d’obtenir l’aménagement des modalités d’exécution de leurs obligations contractuelles.
« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi » (article 1104 du code civil), si bien que les parties cocontractantes « sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives » - jugements (n° 20/04516 et 20/53713) du tribunal de justice de Paris des 10 juillet et 26 octobre 2020.
C’est ainsi que le tribunal de justice de Paris justifie la résolution de plusieurs cas d’inexécution contractuelle engendrés par la crise sanitaire, que cela aille dans le sens du bailleur ou du preneur à bail commercial.
Un premier jugement (n° 20/04516) du 10 juillet 2020 (18ème chambre, 2ème section) de la juridiction parisienne donne gain de cause à un bailleur (de bonne foi) qui « n'a pas exigé le paiement immédiat du loyer et des charges dans les conditions prévues au contrat mais a proposé un aménagement » face à un preneur - exploitant d’un restaurant et débit de boissons - qui « n'a jamais formalisé de demande claire de remise totale ou partielle des loyers et/ou charges dus, ni sollicité d'aménagement de ses obligations sur une période bien déterminée ».
Un deuxième jugement (n° 20/53713) du 26 octobre 2020 (référé) du même tribunal reprend au mot près la formule justificative tirée de l’article 1104 du code civil, mais cette fois en faveur d’un preneur – exploitant d’une parapharmacie – qui « démontre que son secteur d’activité […] a été fortement perturbé par le [premier] confinement » et « justifie par des échanges de courriers s’être rapproché[…] de son bailleur pour avoir essayé de trouver une solution amiable ».
Dans les deux cas, la solution est dictée par une appréciation souveraine de la bonne foi des cocontractants au vu de leurs efforts concrets pour aménager les conditions d’exécution des baux commerciaux aux fermetures administratives édictées pendant le premier confinement.
Par ailleurs, ces jugements de première instance ont le mérite de justifier en droit le rejet de de fondements juridiques alternatifs revendiqués par l’une ou l’autre des parties en litige, qu’il s’agisse :
de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, lequel ne suspend pas l’exigibilité des loyers et charges locatives ;
de l’obligation de délivrance du bien loué (article 1719 du code civil), sachant que le bailleur ne peut être tenu responsable des mesures de confinement adoptées par les autorités pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;
ou de la force majeure prévue à l’article 1218 du code civil, celle-ci étant inopérante en matière d’obligation de somme d’argent – voir Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt (n°13.20306) du 16 septembre 2014.
À l’occasion d’un arrêt (n°16/04533) du 5 novembre 2020, la cour d’appel de Grenoble (chambre commerciale) a sans surprise jugé infondée la théorie du « fait du prince », laquelle n’a pas vocation à s’appliquer entre des personnes de droit privé.
Quant à l’exception d’inexécution des articles 1219 et 1220 du code civil, les juges de deuxième instance ont rappelé qu’elle exige de la partie qui l’invoque, le preneur en l’occurrence, d’établir que le non-paiement des loyers et charges locatives est consécutif au manquement du bailleur à l’un de ses engagements contractuels, tels que l’obligation d’aménager de bonne foi les modalités d’exécution du bail commercial en cas de circonstances exceptionnelles. Ce n'était pas le cas dans cette affaire.
2. UN RÉGIME D’EXCEPTION (DEUXIÈME CONFINEMENT)
Eu égard à la fragilité des moyens juridiques à disposition des entreprises les plus affectées par la crise sanitaire pour ajuster leurs obligations contractuelles, la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 introduit, à compter du 17 octobre 2020, un régime exceptionnel (article 14) :
de suspension des loyers et charges locatives (A);
de garantie d’approvisionnement et de report du paiement des factures en eau potable, électricité et gaz (B).
Suivant des critères d’éligibilité (effectifs, chiffre d’affaires, seuil de perte, etc.) restant à préciser par décret, le dispositif s’applique « aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative » imposant:
la fermeture d’établissements recevant du public ;
la réglementation, voire l’interdiction, de rassemblements, réunions et activités sur la voie publique ou en lieux ouverts (I).
A. La suspension des loyers et charges locatives
La loi n°2020-1379 suspend « jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police mentionnée au I » :
l’encours « d’intérêts, de pénalités, [de] toute mesure financière […], action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée » ;
la mise en œuvre des « sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés »;
et la pratique de mesures conservatoires.
Pendant cette même période :
les clauses contraires, « notamment [les clauses résolutoires] ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges », sont réputées non-écrites (II);
et les parties peuvent toujours recourir à la compensation de l’article 1347 du code civil (III).
Seuls sont visés les « loyers et charges locatives dus pour la période au cours de laquelle l'activité de l'entreprise est affectée par une mesure de police mentionnée au I » (IV).
B. Les factures d’eau, d’électricité et de gaz
La loi n°2020-1379 interdit aux fournisseurs autorisés, « jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police mentionnée au I », de procéder, « y compris par la résolution du contrat » à :
la suspension;
l’interruption;
ou la réduction (du débit, de la puissance, etc.);
« de la fourniture d’électricité, de gaz ou d’eau aux personnes mentionnées au I pour non-paiement par ces dernières de leurs factures ».
Enfin, il est prévu que les fournisseurs autorisés d’eau, de gaz et d’électricité doivent accorder aux personnes éligibles au régime, qui en font la demande, un « report des échéances de paiement des factures exigibles entre le 17 octobre 2020 et l'expiration du délai [susmentionné] et non encore acquittées ». Ledit report est exclusif de toutes « pénalités financières, frais ou indemnités ».
Quant aux modalités de paiement des échéances reportées à l’expiration de la période de protection, elles doivent obéir à une règle d’égale répartition « sur les échéances […] des factures postérieures, sur une durée [d’au moins] six mois » (VI).
Seuls les « contrats afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où l'activité des personnes concernées est affectée par une mesure de police administrative mentionnée au I » sont visés. Le bénéfice de l’interdiction comme du rééchelonnement des paiements implique des personnes mentionnées au I qu’elles attestent de remplir une série de conditions restant à définir par décret (V-VI).
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